Les couleurs de la vie by Lorraine Fouchet

Auteur:Lorraine Fouchet [Fouchet, Lorraine]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782350874005
Éditeur: Héloïse d'Ormesson
Publié: 2017-03-29T22:00:00+00:00

Gilonne a autant de facettes que les boules qui pendent du plafond dans les boîtes de nuit. La mondaine qui me repousse dès qu’un mâle approche. La sorcière qui écarte les femmes du chemin de son fils. La mère qui attend avec impatience les visites de Côme. La petite fille qui me tend les bras pour un câlin quand je la borde dans son lit. La femme fracassée sans repères qui se prend pour un ourson et quémande sa cuillerée de miel.

– La Gorgone était infâme avec son fils, dit Cléopâtre. Vous le connaissez ?

– C’est lui qui m’a engagée.

– Il a fini par jeter l’éponge. Pourtant il l’a supportée longtemps.

– Jeter l’éponge ?

– Il a quitté le Midi, il est parti s’installer en Bretagne. Au début de son hospitalisation, il venait tous les jours. Elle voulait des vêtements, des mandarines, du maquillage, du bon vin, des photos d’elle sur scène. Ce qu’il apportait n’allait jamais. Quand elle l’engueulait, il rentrait le cou dans les épaules, comme un homme battu. Un soir, il l’a prévenue qu’il déménageait. Elle a hurlé. Une vraie tigresse. Il nous a annoncé qu’il avait trouvé du travail dans le grand Ouest et qu’il devait partir, sinon il allait la tuer et passer sa vie en prison. On lui a promis de le prévenir quand elle sortirait. C’est ce qu’on a fait.

– Il est revenu ?

– Non. Il lui a envoyé des fleurs qu’elle a jetées à la poubelle. Elle est retournée chez elle en ambulance. Pendant que l’ambulancier poussait son fauteuil roulant dans le couloir, elle agitait la main à droite et à gauche comme la reine d’Angleterre dans son carrosse. C’était incroyable. D’habitude, quand une patiente s’en va, on lui dit au revoir, on est tous contents pour elle. Là, il n’y avait personne pour la saluer.

– Elle ne vous a pas fait de cadeau pour vous remercier ?

– Notre plus beau cadeau, c’était son départ !

– Comment s’est-elle débrouillée, après, sans son fils ?

– Comme les autres. Tous les patients ne se changent pas trois fois par jour. Tous les patients ne boivent pas du whisky avec des glaçons en forme de cœur. Elle mettait dans son verre le palpitant qu’elle n’avait pas dans la poitrine.

Cléopâtre ferme le pilulier et le pose sur son chariot.

– Son nom m’a fait sortir de mes gonds. Vous vouliez quoi, au fait ?

– Savoir si elle était déjà comme ça. J’ai eu ma réponse.

– Je n’aimerais pas être à votre place, décrète-t-elle. J’espère que le fils a refait sa vie en Bretagne loin de cette mère maléfique. Et que notre collègue de nuit a trouvé du travail ailleurs. Je l’ai recroisée dans Nice quelques mois plus tard, enceinte. Elle avait l’air heureuse. J’aurais voulu la saluer, mais j’étais en voiture. Impossible de m’arrêter.

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